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CHILI - Étape 2 : Antofagasta 

CHILI - Étape 2 : Antofagasta 

J54 - Superman

Bus pour Antofagasta. Mon voisin est particulièrement malodorant, ses effluves sont si âcres que j'en ai la nausée, le nez dans un mouchoir imprégné d'huile essentielle de menthe je m'imagine crever asphyxiée par sa sueur.

Je ne connais de Sandra que sa voix dans le téléphone, pourtant quand une petite femme aux yeux en amandes cachés derrière des lunettes entre déterminée dans la gare routière je sais que c'est elle! Son mari, bourru, jette mes sacs à l'arrière du pick up tandis qu'elle fais la conversation pour 3 et me demande des nouvelles de son frère... Que je n'ai vu qu'une fois. On m'installe à table, on me nourrit. Beaucoup. Javier dis qu'il me faut "mas cazuelas" (casseroles, par extension, bourrelets). En fait c'est un vrai pince sans rire, il me plaît bien avec sa tête de "melon con orejas". Apres la vaisselle Javier nous dépose à l'anniversaire d'un petit neveu. Je patauge dans leur arbre généalogique, mon ami Norton ne m'a pas briefée sur tout...

Des gosses partout, entre guirlandes et ballons, des mamans grassouillettes de moins de 25ans, et vu la quantité de (mal)bouffe je comprends : petits gâteaux, brochettes de fruit, barbe à papa, completo (saucisse avocat tomate mayo pain), empanadas, sodas...

Le sucre glace de mon cup cake superman reste coincé dans ma gorge quand Sandra se met à me raconter la Caravane de la mort aussi simplement que si elle commentait les chaussures de sa nièce. Elle avait 17ans quand on lui enleva son bébé , et qu'on la séquestra, comme ses frères. Elle perdit la notion du temps et de la douleur sous les tortures. Dates et détails épouvantables ponctuent son récit, elle me raconte cette période noire de la dictature. Je frémis. J'apprends. J'ai envie de pleurer. Pas elle. Elle, elle prépare un livre, car "il faut sortir du silence, pour la mémoire de ceux qui ont disparus et pour que les générations futures sachent d'où elles viennent". Sandra est exagérément vivante, joyeuse et rigolote, et maintenant je sais pourquoi. Nous repartons avec des boites pleines de gâteaux pour son Javier qui nous attend dehors. J'ai droit à ma virée touristique dans le soir qui tombe, photos aux ruines de la mine d'argent et au port, près du gigantesque centre commercial.

Il me faudra plus qu'un thé pour digérer cette journée. Sur le net peu d'infos complètes sur les années Pinochet, et pour cause, au tabou engendré par la douleur et la honte s'ajoute un décret qui ne permet de lever le voile que d'ici quelques dizaines d'années... Quand il n'y aura plus personne pour parler en somme.

J55 - Cazuelas y lagrimas

Ce matin nous faisons le marché de La Vega, aux étals immenses de fruits et légumes, pastèques et oignons démesurés. Coude à coude, brouhaha, odeurs de frais et de pourri, je regarde... Un jeune assis sur une pile de sacs d'oignons, une femme bourrée qui décuve assoupie dans un fauteuil, un monsieur obèse -Sandra les yeux malicieux : "ese tiene muuuuchas cazuelas!!"-...

Elle ne perd pas son sourire devant le monument aux "disparus" d'Antofagasta -certains exécutés en torture-, fière d'avoir motivé la réalisation de ce lieu proche du cimetière qu'ils me font visiter aujourd'hui. Un nom m'est familier, je suis très troublée.

Almuerzo tous les 3, je n'ai pas le droit d'aider. Manger seulement. Javier regarde Sandra avec des yeux tendres et gourmands, elle plaisante, satisfaite. Ils sont beaux.

Dans leur détermination à me faire découvrir un maximum, ils m'emmènent à la Portada, arche rocheuse millénaire blanche plantée dans l'eau. Un castor en peluche nous accueille au musée, et une demoiselle de la Conaf nous fait l'éloge des propriétés du caca d'oiseau dans la conservation du lieu. Guano bueno. Il faut que je vois les pélicans il paraît, alors nous voilà au port, à observer ces grands oiseaux se disputer entre les barques pour des morceaux de poisson qui finiront dans la poche bleue d'un seul d'entre eux. Un loup de mer met tout le monde d'accord. Ce sera pour lui.

Au moment de monter dans le bus je sens l'eau qui monte, j'embrasse précipitamment Javier et Sandra avant de me mettre à pleurer comme une madeleine dans mon fauteuil de 1ère classe. Sandra revient me serrer dans ses bras quelques secondes avant le démarrage, rouvrant de plus belle les écluses. Je quitte Antofagasta le cœur gros.

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